En mars 1952, Charles Maurras était emprisonné depuis sept ans et demi à la suite de sa condamnation pour avoir soutenu le maréchal Pétain sous l’Occupation. Malade. il avait été transféré de la maison centrale de Clairvaux à l’hôpital de Troyes et il allait bénéficier d’une grâce médicale accordée par le président de la République d’alors, le socialiste Vincent Auriol. À peine libéré et assigné à résidence à Saint-Symphorien-lès-Tours, il adressait à ce dernier une lettre où il estimait qu’ayant été emprisonné injustement, sa liberté lui était due et où il demandait la tête de François de Menthon, garde des Sceaux de l’Épuration, qui avait couvert les milliers d’exactions et de condamnations iniques qui avaient accompagné la libération du territoire. Cette lettre - qui prouvait que Maurras, malgré son âge (84 ans) n’avait rien perdu de sa pugnacité, fit grand bruit, au point de provoquer l’interpellation du gouvernement à l’Assemblée nationale le jour du Vendredi-Saint ! Mais Maurras ne fut pas remis en prison...
Un ton pédagogique
Votre Bel Aujourd’hui est une autre lettre - une « lettre fleuve » de cinq cents pages - adressée par le maître de l’Action française à Vincent Auriol. Elle est une réponse à un ouvrage écrit par celui-ci en 1943 : Hier-Demain qui se voulait une analyse des événements ayant conduit au désastre militaire de 1940 et une présentation de projets pour l’après-guerre.
Maurras s’empare de l’ouvrage qui, sans lui, serait bien oublié aujourd’hui, le décortique et le réfute point par point. Le ton n’est pas agressif, bien que vigoureux. Il serait plutôt pédagogue. Maurras démontre à Auriol l’inconsistance et la malfaisance des « nuées » que ses amis politiques et lui ont professées et quels malheurs elles ont attirés sur la France. Convaincu que parvenu au sommet de l’État, Vincent Auriol perçoit mieux les hautes nécessités nationales, Maurras l’incite à préparer l’accession du Comte de Paris au pouvoir en se faisant le restaurateur de la monarchie. La plume de Maurras est animée d’une telle flamme, d’une telle force de conviction que cette conclusion n’a rien d’incongru et s’impose naturellement.
Achevé d’écrire en avril 1950 à Clairvaux, Votre Bel Aujourd'hui ne fut publié qu’en 1953 après la mort de Maurras. L’ouvrage a le caractère d’un testament politique à plusieurs titres. D’abord il est nourri par l’immense culture de son auteur et l’expérience de toute sa vie politique. D’où une foule de références qui éclairent le propos de Maurras. Ensuite, celui-ci y développe les thèmes essentiels de sa pensée. Enfin, l’ouvrage est une illustration de la méthode intellectuelle de l’auteur : l’empirisme organisateur. Maurras écrit (p. 182) : « ... Je ne veux être ici que le greffier des choses ». Il laisse parler les événements ou plutôt, il tire des événements les vérités qu’ils contiennent, en pratiquant une induction rigoureuse.
De solides vérités
On ne peut rapporter toutes les solides vérités contenues dans cet ouvrage. Évoquons-en quelques unes. Ainsi Maurras écrit-il, après Joseph Calmette, que la République a accordé « plus d’attention aux remous intérieurs qu’à la situation extérieure ». D’où les déboires de sa politique dont la France a fait les frais.
Signalons aussi le refus du principe des nationalités et de l’égalité des nations. Le nationalitarisme revendicateur et agressif de certains peuples ne doit pas être confondu avec le nationalisme français, essentiellement défensif. C’est pourquoi en 2005, ajouterons-nous, l’Europe des États doit être préférée à « L’Europe des nations ».
Ou encore : « L’histoire de nos rois avère deux choses. En monarchie, l’institution est encore plus importante que la personne du monarque bien que celle-ci passe tout. Et puis, dans cette longue liste de personnages royaux, si divers, il y eut de grands rois, de très grands rois, qui avaient été des dauphins discutés comme Louis XI, ou des « Monsieurs » aussi douteux que le futur Louis XVIII, frère médiocre, beau-frère regrettable envers Louis XVI et Marie-Antoinette. Il s’est rangé depuis dans les Pères de la Patrie : La prétendance n’est pas le règne. La monarchie est bien, comme on l’a dit, un état d’esprit, mais cet esprit royal procède de ce qu’on peut appeler géométriquement sa position ». Ce point est essentiel. L’homme le plus intelligent, le plus dévoué à l’intérêt public serait-il placé au sommet de l’État, il ne pourra réaliser une œuvre durable et efficace s’il ne dispose que d’un pouvoir éphémère et controversé.
Les deux cent vingt premières pages de Votre Bel Aujourd’hui sont consacrées à dénoncer la malfaisance de l’Idée révolutionnaire et à stigmatiser la légèreté des hommes qui l’ont incarnée. À la patrie idéologique chère aux socialistes, Maurras oppose la patrie concrète et il montre comment les intérêts de celle-ci ont été sacrifiés à l’idéologie démocratique. Ainsi sont survenues la catastrophe de 1940, puis la révolution de 1944. Maurras met le doigt sur les crimes de l’Épuration et les gabegies des débuts de la IVe République. Le « Demain » prophétisé par Vincent Auriol s’avère désastreux sur le plan moral, politique, social, économique.
Les Biens publics de la France
Dans la dernière partie de son ouvrage, Maurras met en évidence les quatre « Biens publics de la France » dont il démontre qu’à l’avenir ils ne pourront être assurés que par la monarchie : 1) la sauvegarde de l’indépendance nationale : l’État non envahi. 2) la restitution au peuple de ses libertés au sein d’un État organique. Il n’y a pas de contradiction foncière entre l’État et les « États » c’est-à-dire les libertés locales, régionales, professionnelles, si leurs domaines respectifs sont définis. 3) La Justice, dont tant de bons Français, victimes du terrorisme - sous le masque de la Résistance - et de l’Épuration ont été privés au cours d’une guerre civile dont la France subit encore les séquelles. Hélas, il n’y a pas eu de roi pour promouvoir la réconciliation nationale. 4) La concorde entre les citoyens. Maurras le répète : « Les nations sont des amitiés ». Il faut rejeter la haine entre les classes.
À la fin de sa lettre fleuve, Maurras aborde encore trois questions qui faisaient l’objet de débats il y a un demi-siècle : l’Europe, marquée par la permanence des nations ; l’union franco-allemande, dont on parlait déjà comme le moyen de réconcilier les deux peuples, mais dont Maurras montre les dangers ; enfin la bombe atomique dont il pense que la France doit se doter pour assurer sa défense et maintenir son rôle dans le monde.
Nous ne savons pas comment Vincent Auriol, dont le mandat de président de la République expira en décembre 1954, a réagi à la lettre géante de Maurras. Son successeur, René Coty, ne fut élu qu’après treize tours de scrutin. La IVe République annonçait - déjà - son déclin.
Pierre Pujo LAction Française 2000 du 15 décembre 2005 au 4 janvier 2006
* Librairie Arthème Fayard, 1953.